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GUINÉE

En Guinée, des policiers ont-ils tiré à balles réelles sur les manifestants ?

Captures d'écran de vidéos circulant sur les réseaux sociaux montrant des agents de maintien de l'ordre en train de tirer sur des personnes.
Captures d'écran de vidéos circulant sur les réseaux sociaux montrant des agents de maintien de l'ordre en train de tirer sur des personnes.
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Le 13 janvier, répondant à l’appel du Front national de la défense de la Constitution (FNDC), des milliers de personnes ont manifesté à Conakry, la capitale de la Guinée, et dans d’autres grandes villes du pays. Réprimées sévèrement, les manifestations ont fait deux morts. Un jeune de 21 ans a été tué dans une banlieue de la capitlale, où les policiers sont accusés d’avoir tiré à balles réelles. Ce que le gouvernement conteste. Nous avons enqueté pour établir ce qu'il s’était passé.

Le Front national de la défense de la Constitution (FNDC) est une coalition qui regroupe des organisations de société civile et les principaux partis d’opposition, dont l’UFDG de Cellou Dalein Diallo s’oppose à une réforme constitutionnelle qui pourrait permettre au président Alpha Condé de briguer un troisième mandat.

Notre rédaction a reçu plusieurs vidéos dont celle-ci dessous, diffusée par la page Facebook du site Verite224 montrant clairement un agent des forces de l’ordre tirer sur plusieurs personnes à l’entrée d’un bâtiment dans le quartier Cosa, qui dépend de la commune de Ratoma, dans la banlieue de Conakry.

D’après nos recoupements, la scène se déroule devant la clinique Dogomet de Cosa, où avait été déposé le corps de Mamadou Sow, un élève de Terminale âgé de 21 ans. Le jeune homme a été tué d’une balle à la poitrine par un agent, alors qu’il prenait “un café dans un bistrot du quartier”, selon Abdoulaye Sow, son grand frère, contacté par notre rédaction.

“Les agents ont tiré à balles réelles en direction de l’hôpital”

L’auteur de la vidéo n’a pas voulu témoigner. Mais nous avons réussi à joindre un autre témoin qui était  à l’intérieur de la clinique. Il a requis l'anonymat. Il raconte :

 

Le lundi, j’ai reçu un appel  me disant qu'un jeune a été tué par une balle au niveau de la poitrine et que son corps a été admis dans la clinique Dogomet. Je me suis rendu sur les lieux où se trouvait déjà la famille de la victime. C’était aux environs de 14 heures.

Il y avait beaucoup de monde. Des amis de la famille venaient présenter les condoléances. C’est ensuite que des policiers sont venus. Ils ont voulu interpeller des jeunes qui étaient dans l’enceinte de la polyclinique et les parents de la victime. Il y a eu de la résistance et les agents ont tiré à balles réelles en direction de l’hôpital. Mais personne n’a été touché par ces tirs.

Notre Observateur nous a aussi fait parvenir des photos de douilles de cartouche et de munitions récupérées aux abords de la clinique que nous avons fait analyser par un expert en balistique.

Douilles de cartouche retrouvées près de la clinique Dogomet à Cosa. 

"Ce calibre n’est en aucun cas destiné au maintien de l’ordre”

Ce sont des munitions de calibre 7,62 x 39 mm, destinées à des fusils d’assaut type Kalachnikov AK-47 ou AKM. La douille de cartouche portant le code "539" vient de l’arsenal de Tula en URSS et a été produite en 1978.

Ça ne fait aucun doute que les tirs ont été faits avec des munitions de guerre. Ce calibre n’est en aucun cas destiné au maintien de l’ordre !

Sur la vidéo, l’expert reste aussi formel :

 

Le bruit des tirs correspond également aux munitions de fusil d’assaut. La résonance des détonations est due aux murs le long duquel l’onde de choc de la détonation se déforme, mais les sons sont compatibles avec des munitions de calibre 7,62 x 39 mm.

Contacté par notre rédaction, Albert Damatang Camara, le ministre de la sécurité publique affirme avoir visionné, lui aussi la vidéo, mais conteste qu’il s’agisse de tir à partir d’une arme létale.

 

Les images ne sont pas très claires parce qu’on voit des gens qui entrent et qui sortent. Mais cela n’est pas un tir à partir d’une arme létale. C’est un tir de grenade lacrymogène tiré à partir d’un Cougar [lanceur de grenade]. Nos services sont formels là-dessus.

Concernant ces images de douilles qui ont été retrouvées : nous sommes dans une zone où il y a des circulations d’armes. A l’avant-veille des manifestations, plusieurs personnes ont été arrêtées en possession d’armes de guerre.

Donc, le simple fait de retrouver soit des armes, soit des munitions provenant d’armes de guerre ne veut pas forcément dire que ce sont des policiers, des militaires ou des gendarmes qui les utilisent.

Cependant l’expert en balistique reste sceptique sur la thèse d’un tir de grenade lacrymogène :

 

Avec le Cougar qui lance effectivement des cartouches lacrymogènes, on ne fait pas de tirs à l’horizontal, de tirs tendus. Ce qui est bien le cas dans la vidéo. On voit que la fumée de sortie des gaz est au niveau du visage. Cela correspond à une arme qu’on épaule. Et ce sont les fusils d’assaut qu’on épaule.

Nous avons aussi visualisé une deuxième vidéo qui circule sur les réseaux sociaux. Elle montre des agents de maintien de l’ordre filmés à leur insu, en train de tirer.

Sur cette vidéo également, l’expert en balisitique affirme que les tirs qu'on entend proviennent de fusil d’assaut reconnaissables à partir du chargeur “courbe” typique de l’AK-47 ou de l’AKM mais aussi de la bretelle de transport de l’arme.

Sans mentionner laquelle, Albert Damatang Camara nous a déclaré qu’une autre vidéo tournée dans un quartier différent de Cosa montrait des tirs de policiers à balles réelles. “Une enquête est menée en interne pour identifier l’unité et la sanctionner” a-t-il affirmé.

 

Ratoma, régulièrement le théâtre de violences

Sur les réseaux sociaux, plusieurs vidéos montrent des policiers saccager des biens, tabasser des personnes ou même bruler, mardi, une partie du marché de la commune de Ratoma. Face à ce “comportement désobligeant de certains agents” qui est de nature à “saper les efforts louables de la Police Nationale”, Ansoumane Camara, le directeur général de la Police nationale a annoncé dans une note circulaire, mercredi, la mise en place “d’une commission d’enquête spéciale pour rechercher et identifier les auteurs” de ces actes.

"Ce n’est pas exclu qu’il y ait des bavures"

La commune de Ratoma, bastion de l’opposition est régulièrement le théâtre de violences et d’affrontements entre les forces de l’ordre et les populations. En octobre, les manifestations avaient été également sévèrement réprimées et avaient causé la mort d’une dizaine de personnes dont Bah Thierno Sadou, un jeune de 18 ans. Sa famille avait été gazée par des policiers dans le quartier de Wanidara en plein deuil.

En octobre 2019, une habitante de Ratoma déplorait auprès des Observateurs de France 24, le fait que la commune soit systématiquement prise pour cible par les Forces de l’ordre lors des manifestations.

À cela, Albert Damatang Camara, le ministre de la Sécurité publique, répond :

 

C’est à Ratoma que se déroule la quasi-totalité des manifestations violentes. Parce que c’est un fief de l’opposition. C’est ce qui explique tout cela.

Les dispositifs de maintien de l’ordre conventionnels sont mis en place pour gérer des manifestations conventionnelles et pacifiques. Lorsqu’on sort de ce cadre-là, cela devient difficile de faire le discernement entre quelqu’un qui manifeste pacifiquement et quelqu’un qui a des intentions délictuelles ou criminelles.

Ce n’est pas exclu qu’il y ait des bavures. Mais qu’on dise que systématiquement il y a un plan dans une zone précise où on envoie des gendarmes ou des policiers tirer sur les populations, c’est ce que je conteste.

Article écrit par Hermann Boko

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